Text – Les mutations actives de Per Hüttner (in French)

Per Hüttner développe son œuvre dans une étrange fluidité. Depuis plusieurs années, il multiplie les interventions partout dans le monde, résidant à Stockholm, Los Angeles ou Paris et active simultanément rencontres, symposiums, installations, impulsant à son travail une hyper-mobilité géographique et conceptuelle permanente. Il mêle périodes d’activité intense, d’une densité peu commune, et retraites réflexives au beau milieu du network contemporain, moments d’inventions de fondamentaux et d’assemblages théoriques. Ainsi Per Hüttner est il l’initiateur d’un dispositif nomade d’art contemporain intitulé Vision Forum, projet collectif qu’il construit en lien avec une recherche plastique plus personnelle. En moins d’une année P. Hüttner a présenté deux expositions à Besançon, un état instantané du rhizome Vision Forum émergeant d’une activité de mise en dialogue de l’art entre l’Europe et la Chine et plus récemment une exposition personnelle intitulée N’entre pas sans violence.

 

Nathan Delencey  – Per Hüttner, vous avez réalisé l’installation de votre exposition, N’entre pas sans violence, sur deux sites, à l’Ecole Régionale des Beaux Arts de Besançon et au Musée du Temps. Est-ce une mise en miroir de deux propositions, dans le cadre du réseau international Vision Forum que vous avez créé ?

Per Hüttner – Les deux expositions nous permettent de regarder la réalité sous un angle légèrement différent de celui auquel nous sommes habitués. Notre perception de la réalité est inhibée par les conventions sociales. A l’Ecole Régionale des Beaux Arts, l’ERBA, l’exposition, la rencontre, s’est faite autour de l’image et de discours de personnages excentriques en train de reformuler leur propre relation au  monde et dans le même temps qui sont tous engagés dans une sorte de recherche personnelle. Il est difficile en fait de discerner qui sont ces personnages, si ce sont des scientifiques, voire des entités appartenant à une autre époque ou à un autre univers… ou simplement des fous.

Au Musée du Temps j’ai installé la trace de différentes actions réalisé durant ces jours à Besançon. La démarche reste similaire à celle engagée à l’Ecole d’art. Disons que le travail présenté à l’école des Beaux Arts est de l’ordre d’un « représentatif », plus figuratif, et la proposition faite au Musée du Temps est à mon sens, strictement non-figurative. Le travail engagé dans ce lieu suggère un autre regard sur la réalité au travers d’usages multiples et insoupçonnées d’objets qui libèrent  les pouvoirs cachés, poétiques, de ces objets en apparence banals. Par exemple, les livres de Joyce et de Homère sont devenus tout à la fois des montres et des soupières-balais. Le lit de Pénelope et/ou de Molly est devenu horloge et crayon.
Ces deux expositions ne sont pas des projets de Vision Forum, mais ceci dit, je tiens à souligner que Vision Forum est une partie intégrante de ma pratique artistique. Et certainement que ces  deux expositions n’auraient pas été possibles sans mon travail avec Vision Forum. Les deux activités sont intimement liées, ont des objectifs similaires et les mêmes ambitions, mais les maintenir séparées permet une certaine mise en tension, une création  d’énergie, c’est assez stimulant.

N. L.  -Vision Forum  ?

P. H. – Vision Forum est ouvert à tous les artistes et aux commissaires d’exposition qui veulent utiliser leur pratique afin d’investir et de développer une conception plus visionnaire, inspirée et expérimentale du monde de l’art. Je suis fier de dire qu’en 2010, nous invitons pour la première fois un  scientifique qui fait des recherches sur la façon dont le cerveau perçoit le monde, plus particulièrement sur l’empathie. Nous invitons des praticiens qui ne rentrent pas dans une seule catégorie, mais dont la pratique se situe entre les genres et les définitions. Je pense que par l’étiquetage des pratiques artistiques, on perd quelques chose d’un pouvoir poétique et politique.

N. L – Comment avez vous conçu l’exposition au Musée du Temps de Besançon.

P. H. Les deux expositions ont été développées en étroite collaboration avec le commissaire italien Daniele Balit. Ces monstrations représentent toutes deux une sorte de développement dans ma pratique artistique. Orientations qui se connectent à des thèmes tels que la nature poreuse de la réalité et de l’identité, qui sont au cœur de ma pratique depuis longtemps. Mais j’ai aussi repris contact avec le thème de la science, qui a été ma principale source d’inspiration dans la première moitié des années 90.

Pour l’exposition au Musée j’ai été particulièrement inspiré par le travail du logicien français

Jean-Yves Girard. Je présente l’un de ses textes “Les montres à moutarde : une approche intégrée au temps et à la nourriture”, qui se connecte à l’usage multiple des objets que j’ai utilisé pour l’exposition. J’ai passé vingt quatre heures à genoux, à nettoyer le sol dans une des salles de l’exposition en utilisant douze copies d’Ulysse de James Joyce et douze exemplaires de l’Odyssée de Homère, les livres étant à la fois des outils de nettoyage et d’étranges horloges pour mesurer le temps ; Tout en conservant leur spécificité complexes de chef-d’œuvre, de géants de la littérature.

N. D – Le récit toujours, dans la première exposition…

P. H – J’ai terminé l’écriture d’un premier roman, au début de 2009. Il était naturel pour moi de continuer à travailler sur la narration et la durée en réalisant des vidéos.
Dans l’exposition à l’Ecole des Beaux Arts, les vidéos traitent de thématiques similaires à celles proposées au Musée du Temps, mais sur un mode différent. Je suis parti de cet argument, que le concept de  temps aurait induit une mauvaise compréhension que nous avons de la réalité (tout simplement parce que nous allons tous mourir). L’idée étant alors  de réaliser comme une sorte de mantra pour ces deux expositions. L’identité des personnes dans les vidéos est volontairement floue et la temporalité en est modifiée, c’est une autre forme de signification, car lorsque l’identité est si incertaine il devient également difficile de percevoir la temporalité. Avec cette nouvelle perception temporelle, notre perception de la réalité serait remise en question… ce qui nous permet d’accéder à une nouvelle liberté en quelque sorte.